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19 mars 2007 1 19 /03 /mars /2007 13:52
Extrait d'un article de Sonya FAURE dans le QUOTIDIEN : jeudi 15 mars 2007
 
Dominique Peutevynck, agent EDF avait décidé de mettre fin à ses jours, à 49 ans, en août 2004. La caisse primaire d'assurance maladie avait estimé que ce suicide avait un rapport avec ses conditions de travail et pouvait donc être classé comme «maladie professionnelle», et  EDF conteste cette décision. Les juges ont mis l'affaire en délibéré pour le 14 mai.

 Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherches à l'Inserm, a recueilli pendant dix ans des paroles d'agents EDF et de salariés sous-traitants travaillant dans les centrales nucléaires (1). Elle revient sur les suicides de travailleurs du nucléaire.

En moins de deux ans, quatre salariés de la centrale nucléaire de Chinon se sont suicidés. Est-ce que cela vous étonne ? 
Malheureusement pas. Certes, un suicide est toujours un acte personnel. Mais dans ce genre d'affaire, il faut aussi poser la question de la responsabilité de l'employeur : comment le travail a-t-il pu contribuer à cet acte ? Lors de mon étude, les médecins du travail des centrales nucléaires EDF m'ont confirmé que les conditions se dégradaient depuis quinze ou vingt ans. D'un côté, les salariés d'EDF sous statut qui ont le plus souvent des postes d'encadrement, chargés de la conduite ou de la maintenance. De l'autre, les sous-traitants, parmi lesquels beaucoup de CDD ou d'intérimaires, travaillent sous irradiation au coeur des centrales. Le salarié qui s'est suicidé en 2004 travaillait à la maintenance. Il avait à gérer toutes les contradictions de l'industrie nucléaire : mener à bien des contraintes impossibles ­ notamment le respect des normes de sécurité ­ dans des délais toujours plus courts. EDF fait de plus en plus souvent appel à des sous-traitants : les marchés ont été décrochés par des entreprises qui ont écrasé les coûts, notamment en déléguant des tâches à d'autres prestataires. Il n'est pas rare aujourd'hui de voir 5 ou 6 niveaux de sous-traitance dans les centrales. En bout de chaîne, les opérateurs subissent une pression très forte et leur sécurité n'est pas toujours assurée. Les agents EDF sont les mieux placés pour le savoir, mais ils n'ont plus prise sur ce travail opérationnel délégué aux sous-traitants. Et ils sont eux-mêmes pris en tenaille : ils ont des objectifs à tenir. Chacun s'emploie donc à donner la version officielle qu'attend EDF : tout va bien. Pourtant, dans nos entretiens, cette inquiétude pour les ouvriers précaires, mais aussi pour la sécurité des installations, revenait sans cesse. Les agents craignaient terriblement la dispersion des savoir-faire dans le domaine de la sûreté nucléaire, au fil de cette sous-traitance en cascade. Face à ce sentiment d'impuissance, le suicide peut apparaître comme un acte ultime de résistance. Refuser de se laisser atteindre dans sa dignité au travail.
Moins visibles, sans doute moins comptabilisés, les suicides existent aussi chez les sous-traitants des centrales... 
Une vague de suicides est apparue dès 1995 parmi les sous-traitants d'EDF. Rien qu'en 1995, la coordination des syndicats CGT de la centrale de Chinon avait repéré sept cas. Un médecin du travail m'avait dit : «Vous verrez, ça touchera bientôt les salariés sous statut.» Pour les sous-traitants, le sentiment d'impuissance est doublé d'une instabilité professionnelle. En 1992, j'avais rencontré Patrick, un intérimaire. A l'époque il allait bien, mais la pression due à sa situation d'intérimaire le taraudait. En effet, pour respecter les limites individuelles d'exposition aux radiations ionisantes, EDF fait se succéder, sur les postes exposés, des travailleurs recrutés par le biais de la sous-traitance et de l'intérim. C'est la «gestion de l'emploi par la dose». Les travailleurs doivent porter des dosimètres qui enregistrent la dose de rayonnement à laquelle ils sont soumis et transmettent l'information par informatique à EDF. Quand le travailleur atteint la dose maximale autorisée, l'accès à la centrale lui est fermé. Pour un CDD ou un intérimaire, la mission est finie d'office. Il ne travaillera que plusieurs mois plus tard quand il aura remis à zéro son «crédit d'irradiation». EDF reporte ainsi la responsabilité de la gestion des risques de radiation sur les salariés eux-mêmes, ce qui les fragilise. Deux ans plus tard, je suis revenu sur le site où Patrick travaillait. J'ai appris qu'il s'était suicidé, à 32 ans. Son décès n'a pas été reconnu maladie professionnelle. Il avait atteint une nouvelle fois sa «dose» et, donc, a perdu son contrat. Il s'est tiré une balle dans la tête le jour où son agence d'intérim lui a refusé une avance financière.
Pourquoi, depuis les trois suicides au Technocentre Renault, parle-t-on plus des suicides et de leur lien avec le travail ? 
C'est plus qu'un effet de mode : au contraire, il y a depuis quelques années une inversion de tendance dans l'âge des suicides. Alors qu'ils touchaient très majoritairement les plus âgés, aujourd'hui, de plus en plus d'hommes de 30 à 45 ans se suicident. Comme la plupart des cas récents chez Renault, Peugeot, EDF... Je pense que cette tendance peut être reliée aux transformations de l'organisation du travail ­ qui n'est évidemment pas spécifique à ces trois entreprises : flexibilité et obligation de résultat. Qu'ils soient précaires ou sous statut, ouvriers ou cadres, les travailleurs n'ont plus la possibilité de négocier les moyens qu'on met à leur disposition pour atteindre leurs objectifs. Et si les pouvoirs publics et les entreprises attendent qu'on leur apporte la preuve statistique que le suicide est lié aux conditions de travail, nous n'aurons plus qu'à compter les morts.
(1) Lire Travailler peut nuire gravement à votre santé, la Découverte, 19 euros.
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Published by JM Roy - dans environnement